Paris : le musée d’Art moderne tisse un hommage trop grand à Jean Hélion

Paris : le musée d’Art moderne tisse un hommage trop grand à Jean Hélion
Vue de l'exposition « Jean Hélion La prose du monde » au musée d'Art moderne de Paris, 2024 © Paris Musées / Pierre Antoine

Jusqu’au 18 août, le musée d’Art moderne de Paris propose une nouvelle rétrospective Jean Hélion (1904-1987), vingt ans après celle du Centre Pompidou de 2004. Chronologique, elle montre parfaitement le passage de l’abstraction à la figuration du peintre mais déroule trop longuement (150 œuvres au total) la seconde moitié de sa carrière à partir des années 1960.

Monter une rétrospective Jean Hélion peut sembler facile tant le nombre de ses œuvres sur le sol français est important. Cependant, la tâche est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. D’abord, parce que pour brosser son versant abstrait, qui dure jusqu’en 1944, il faut faire venir des Etats-Unis les chefs-d’œuvre qui y sont conservés. Le pari est donc coûteux. Ensuite parce qu’il faut savoir faire un tri dans toutes les séries développées par l’artiste devenu figuratif et qu’il faut obtenir le prêt des grands polyptyques des années 1960 aux contenus engagés.

Rythmer le parcours

À ces trois difficultés, les deux commissaires de l’exposition du musée d’Art moderne de Paris, Sophie Krebs et Henry-Claude Cousseau, répondent avec plus ou moins d’habileté. Pour le pan abstrait, formidable ! On passe parfaitement des emprunts à Mondrian jusqu’aux belles compositions lumineuses américaines (sublime Compositions de 1934 et 1935 venues du Salomon R. Guggenheim Museum de New York et de la Peggy Gugenheim Foundation de Venise). Les œuvres sont remarquables et les prêts spectaculaires. Malheureusement on passe très vite aux années 1950 et à la figure. Vont suivre des salles entières de personnages au parapluie, à la citrouille et au costume cintré, de vues d’atelier et de scènes de rue. Quand on aborde la grande courbe du musée, l’intérêt s’émousse et on bute devant cette rangée de toiles au trait amolli et aux compositions répétitives. Fort heureusement la présence d’œuvres de grand format comme le Triptyque du Dragon (1967), Jugement dernier des choses (1978) et Choses vues en mai (1969) viennent pimenter ce parcours trop long.

Les Relevailles (1983) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Les Relevailles (1983) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Des difficultés scénographiques

Se pose donc la question de l’adéquation des salles du rez-de-chaussée du MAMP à une rétrospective d’une telle ampleur. Fallait-il donner à Jean Hélion cette double courbe que Giorgio De Chirico, Bernard Buffet et Oskar Kokoschka ont précédemment occupée ? Il s’agit de trois cas de figures différents aux résultats divergents. L’Italien, reprenant en fin de carrière les œuvres de ses débuts qui avaient fait son succès, était intéressant malgré tout car son cheminement n’était pas banal. Le Français montrait les limites de son art par ses innombrables séries de Clowns tristes et de Capitaine Némo, qu’il aurait fallu expurger. L’Allemand, lui, sortait son épingle du jeu car, malgré une longue série de chromos peints en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, il terminait sa vie par des tableaux qui allaient inspirer l’avant-garde allemande des années 1980. Hélion, lui, flotte dans un habit trop grand pour lui. Il est intéressant de le réhabiliter dans son travail sur la figuration mais trop d’œuvres moyennes viennent ici sabrer cette belle tentative.

Figure tombée (1939) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Figure tombée (1939) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Un prologue figuration-abstraction

Chronologique, l’exposition démarre avec les premières figurations de l’artiste normand, préparateur en pharmacie et étudiant en chimie à Lille, qui vient s’installer en 1921 à Paris et dessiner chez un architecte. Sa rencontre avec Joaquin Torres-Garcia, puis avec le groupe Art Concret, lui permet d’abandonner son réalisme pour le cubisme puis l’abstraction. Ses toiles, constituées de carrés et rectangles en aplats de couleurs, rappellent Theo Van Doesburg et Piet Mondrian.

De gauche à droite : Composition (1930), Nature morte au pot (1929) et Homme assis (1928) de Jean Hélion, présentés dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

De gauche à droite : Composition (1930), Nature morte au pot (1929) et Homme assis (1928) de Jean Hélion, présentés dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Équilibres et figures

Après avoir participé au groupe Abstraction-Création en 1932, Jean Hélion abandonne les compositions aux lignes orthogonales trop rigides et se lance dans des œuvres jouant sur les notions d’équilibre et de tension. Les courbes et les couleurs donnent toutes leurs capacités de séduction à ces toiles abstraites. C’est l’époque de son premier séjour aux Etats-Unis, où il épouse Jean Blair. Mobilisé en France, évadé en 1942, il revient à New York, où il se remarie avec Pegeen Vail, la fille de la collectionneuse et galeriste Peggy Guggenheim. Il rentre définitivement en France à la fin de la guerre.

À gauche : Composition (1934) de Jean Hélion, présentée dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

À gauche : Composition (1934) de Jean Hélion, présentée dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Passage à la figuration

Dès 1944, Jean Hélion passe de silhouettes abstraites à des scènes de rues avec des vitrines de magasin et des personnages portant chapeau et parapluie. Ici, un homme et une femme occupent un espace frontal percé d’une fenêtre et d’une porte. Les formes sont cernées d’un trait noir et simplifiées à l’extrême. La composition est simple et lisible. Les figures s’imposent comme des statues, figées comme dans un rêve. La critique et le public demeurent médusés devant ces œuvres classicisantes.

Homme au parapluie et femme à la fenêtre (1944) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Homme au parapluie et femme à la fenêtre (1944) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

L’âme du peintre

Malgré le caractère répétitif de ses sujets, Jean Hélion parvient à surprendre le visiteur par des audaces formelles et des thèmes déroutants. Ainsi de Backwards (1947) où le peintre pose près de son modèle tête en bas devant un tableau totalement abstrait (Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac ?). Ainsi de Maquinnerie d’argent (1951) avec un mannequin plus vivant que nature dans sa vitrine où trône une main coupée. Ainsi de Vanité à la rose (1957) imaginée comme un accrochage de tableautins au-dessus de la scène réelle. Ainsi de cet Atelier (1953), à la touche très vibrante, où natures mortes et nus s’accumulent dans un lieu que l’artiste considère comme « l’âme du peintre ».

L’Atelier (1953) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

L’Atelier (1953) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Un bilan à l’acrylique

Premier des grands polyptyques de Jean Hélion, le Triptyque du Dragon, peint à l’acrylique, agit comme un bilan de son œuvre passé. On y retrouve aussi bien les vitrines que les mannequins, le café et l’homme au chapeau. Au centre, Hélion y représente un Équilibre abstrait de ses débuts ainsi qu’un visage d’homme. La composition est complexe avec ses espaces encastrés les uns dans les autres, ses portes ouvertes, ses escaliers, son puits conduisant à un égout. La scène permet mille interprétations mais insiste sur l’envers des choses, le monde caché derrière les apparences.

Le Triptyque du Dragon (1967) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Le Triptyque du Dragon (1967) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

Engagement politique

Mai 68 va permettre à Jean Hélion de se plonger dans le spectacle de la rue et de la foule. Des drapeaux bleu-blanc-rouge ponctuent des toiles d’un bleu claquant. Viennent ensuite des natures mortes un brin surréalistes, des tableaux dans le tableau avec des reflets dans un miroir, des vanités contemporaines. L’artiste est peu à peu atteint de cécité et ses toiles aux couleurs trop fortes et au dessin trop rapide seront les dernières d’une longue carrière courant sur plus de six décennies. Il aurait été intéressant de se poser la question de sa fortune posthume en décelant certains traits à la manière d’Hélion chez de jeunes artistes comme le jeune Jean-Charles Blais ou, plus tard, chez Claire Tabouret.

A droite : Suite pour le 11 novembre (1976) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer

A droite : Suite pour le 11 novembre (1976) de Jean Hélion, présenté dans l’exposition « Jean Hélion, la prose du monde » au musée d’Art moderne de Paris, 2024 © Guy Boyer


« Jean Hélion. La prose du monde »
Musée d’Art Moderne de Paris, 11 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris
Jusqu’au

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