L’imposture de l’art contemporain

Publié le 15 Avril 2017

L’imposture de l’art contemporain
Les expositions d'art contemporain restent incompréhensibles pour les non initiés. Mais cet élitisme bourgeois masque en réalité la vacuité d'un art creux sous emballage marketing.

 

 

L’art contemporain peut susciter le scepticisme d’un public non avertit. Toute forme d’objet peut devenir artistique si le monde de l’art nous le présente comme tel. La créativité n’exprime plus rien et l’art contemporain semble se contenter d’un nombrilisme superficiel. Deux universitaires, Alain Troyas et Valérie Arrault, analysent ce phénomène dans le livre Du narcissisme de l’art contemporain.

 

« Et souvent, n’importe quoi se fait avec pas grand-chose et même presque rien et il arrive que ce soit rien du tout, et même avec moins que rien », ironisent Alain Troyas et Valérie Arrault. Le monde de l’art se veut tolérant et refuse toute forme de critères de jugement ni même la moindre critique. Le modèle fordiste, paternaliste et autoritaire, est remplacé. Après la contestation des années 1968, Eve Chiapello et Luc Boltanski observent l’émergence d’un Nouvel esprit du capitalisme. Une société ouverte, flexible, mobile et permissive est valorisée.

 

L’art se conforme à cette évolution du capitalisme. N’importe quel objet ennuyeux ou insipide peut être présenté comme artistique à travers la rhétorique du marketing culturel à coups de textes, de théories et de publicité.

 

 

 

 

Vide et banalité

 

L’art minimaliste et conceptuel s’est imposé. Cette culture du vide délaisse les vieux idéaux pour valoriser les caprices et l’égotisme. Un art détaché du monde congédie les vieilles avant-gardes artistiques, notamment les surréalistes. « Du point de vue culturel, il était inéluctable que dans ce climat général d’inquiétude et de dépression, de déboires et de peur, on se détournât des engagements collectifs liés aux utopies rationalistes et de leurs missionnaires en voie de faillite accélérée dans le monde de l’art », décrivent Alain Troyas et Valérie Arrault. Les utopies et les conflits sont alors congédiés par les artistes.

 

L’art contemporain valorise la banalité. Les actes du quotidien ne s’inscrivent pas dans un sens collectif ou historique. Ils sont ramenés à leur superficialité prosaïque. L’art valorise le narcissisme qui « ne se caractérise pas par des images grandioses ou agressives comme défense contre l’anxiété ou la culpabilité de n’être point conforme au modèle imposé par le pouvoir social, mais par l’introjection du neutre et de l’anodin », déplorent Alain Troyas et Valérie Arrault.

 

 

Fluxus et le pop art se développent après la seconde guerre mondiale. Cette créativité ludique se distingue du mouvement Dada qui émerge au début du siècle. Pour l’art contemporain les grandes utopies sont dépassées. L’ordinaire, le futile et l’insignifiant sont au contraire valorisés. « Signes vides d’idéaux utopiques, ils ne renvoient qu’à la marchandise et au statut social », analysent Alain Troyas et Valérie Arrault.

 

Les objets du pop art ne disent pas plus que les objets qu’ils représentent. Planche de palissade, boîte de conserve, bouteilles de Coca-Cola, drapeau états-unien, publicités deviennent des œuvres d’art. Les déchets de la société de consommation sont les sources d’inspiration. « Pas de politique, pas d’idéal, pas de jugement de valeur sur quoi que ce soit », observent Alain Troyas et Valérie Arrault. L’art se contente d’une auto-satisfaction sans recherche d’originalité.

 

Le pop art émerge dans le contexte de la contestation des années 1968 mais aussi des luttes afro-américaines. Mais cette dimension politique reste évacuée. « Le pop art, c’est le rêve américain aux hormones, aseptisé et castré, refoulant la face sombre et fragmentée des conflits de classe qui menancent l’ordre marchand », soulignent Alain Troyas et Valérie Arrault.

 

L’imposture de l’art contemporain
Absurdité et vulgarité

 

Dada et le surréalisme se distinguent de l’art contemporain. Leur utilisation de l’absurde vise à dynamiter les valeurs de l’ordre social. Le non-sens et la fantaisie alimente la créativité artistique. Ces mouvements « étaient animés par cette volonté de libérer les tabous sur l’amour et la politique, tels que l’administraient les dominants », analysent Alain Troyas et Valérie Arrault. L’absurde permet de détruire l’idéologie et les intérêts des capitalistes. L’absurde démasque les hypocrisies et les censures qui répriment les désirs. Au contraire, l’absurdité de l’art contemporain se soumet à la logique du capitalisme libéral.

 

Les artistes valorisent désormais l’absurde pour son insignifiance et son absence d’enjeu. Ils n’attaquent plus l’ordre capitaliste mais se contentent de simples jeux de mots, d’improbabilités sémantiques et d’histoires sans finalité.

 

L’art contemporain valorise l’exhibitionnisme et la nudité. Mais cette spectacularisation de l’intime permet de masquer la décadence de la politique. Le narcissisme et le voyeurisme priment sur la pudeur. Les émissions de télé-réalité comme Loft storyConfessions intimes ou L’île de la tentation montrent la vie amoureuse et sexuelle d’inconnus. L’art contemporain valorise également le déchet, le scatologique et le morbide.

 

L’imposture de l’art contemporain
Critique de l’art contemporain

 

Le livre d’Alain Troyas et Valérie Arrault permet de décortiquer l’imposture de l’art contemporain. Le culte de la subjectivité permet de masquer le vide de cette culture avant tout destinée à la bourgeoisie. La découverte de galeries d’art laisse très souvent un goût amer. C’est l’entre soi culturel qui s’admire lui-même. C’est un petit monde avec ses propres codes indéchiffrables pour le commun des mortels, un élitisme auto-centrée et superficiel.

 

Mais Alain Troyas et Valérie Arrault tentent de se démarquer de la critique réactionnaire de l’art contemporain. Pour cela, la critique s’attache à restituer le contexte historique du capitalisme libéral. Mais les universitaires s’attachent davantage à des élucubrations freudiennes plutôt qu’à développer une analyse de classe. Il semble important de préciser que l’art contemporain demeure un important marché et que ses produits restent avant tout destinés à la bourgeoisie cultivée.

C’est sans doute ce qui permet d’expliquer la médiocrité des artistes. Cette classe sociale vit dans un confort bourgeois et ne subit pas de problèmes sociaux. Les artistes et leur public peuvent alors difficilement se révolter contre un ordre social qui les valorise. La transgression ne peut être que superficielle et uniquement esthétique. Au contraire, la bohème artistique et notamment le mouvement Dada subissent bien souvent la misère et vivent souvent dans les quartiers ouvriers. Leur transgression vise logiquement à attaquer l’ordre capitaliste et dépasse la simple démarche esthétique.

 

Alain Troyas et Valérie Arrault peuvent glisser dans la fange réactionnaire à travers leur référence constante à la culture « libérale libertaire ». Le terme est inventé par le stalinien Michel Clouscard et repris par des idéologues réactionnaires comme Jean-Claude Michéa. L’expression peut effectivement désigner la culture de cette bourgeoisie et petite bourgeoisie intellectuelle qui colonise les centres urbains. Mais le « libéralisme libertaire », tout comme la dénonciation du « narcissisme » peut également permettre de dénoncer les libertés individuelles pour mieux défendre les valeurs traditionnelles : travail, famille, patrie.

Alain Troyas et Valérie Arrault tiennent à se démarquer de tout retour vers un passé idéalisé avec le modèle du chevalet et de l’art traditionnel. L’apologie des contraintes, de l’ordre, des limites contre la révolte libertaire des années 1968 peut alimenter l’ambiguïté. Il semble important de valoriser la créativité artistique et de lui donner un sens politique. Le mouvement Dada a permis de dynamiter les carcans de l’ordre moral pour s’inscrire dans une utopie révolutionnaire. Cette démarche ludique et politique doit se réactiver.

 

Source : Alain Troyas et Valérie Arrault, Du narcissisme de l’art contemporain, L’échappée, 2017

 

 

Pour aller plus loin :
 
Vidéo : Valérie Arrault, Le kitsch, une esthétique sans règles, conférence de l'Agora des Savoirs enregistrée le 6 février 2014
Vidéo : Valérie Arrault, Corps à corps, conférence enregistrée le 3 Décembre 2011
 
Jean Rouzaud, L’art renversé pour humilier le monde ?, publié sur le site de Radio Nova le 17 février 2017
Michel Pourcelot, L’art contemporain cultive-t-il les Narcisses ?, publié sur le site de Force Ouvrière le 11 février 2017
Compte-rendu publié sur le site Montpellier-infos
Compte-rendu publié sur le site Résistance Inventerre le 15 mars 2017
Compte-rendu publié sur le site Metamag le 24 février 2017
Compte-rendu publié sur le site Alternatif Art
 
Alain Troyas, « Pour une véritable éducation esthétique », publié dans la revue Tréma en 1992
Pour ou contre le Street art au musée, la polémique s’installe après la parution d’un article consacré à ce thème dans Artension n°117, publié sur le site Artension le 9 janvier 2013
Arrault Valérie, Jacques Emmanuelle, « Les jeux sur Facebook : quelques paradoxes du gratuit et du convivial », publié dans la revue Hermès n° 62 en 2012
Glen Coco, Arrêtons de mentir : je n'ai jamais rien pigé à l'art contemporain, publié sur le site Vice le 4 mai 2012
Théophile Pillault, Pourquoi tout le monde déteste l'art contemporain, publié sur le site Vice le 24 février 2016
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P
l'art contemporain est bien une imposture, dans le sens ou il y a vol de sens,<br /> car je suis artiste et contemporain mais je ne fais pas dans le nihilisme!<br /> ni dans l'art fécal et<br /> je me sens trahis par des collègues qui jouent le jeu de l'argent et du pouvoir<br /> c'est avant tout, un signe des temps,celui d'une civilisation judéo-chrétienne moribonde<br /> et comme on a put le constater,historiquementles artistes ont toujours ete les "scribes" de la religion...maintenant en cette periode de transition la religion c'est l'argent! et c'est pourquoi nous avons cet art qui compte pour rien!
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Q
"Mais Alain Troyas et Valérie Arrault tentent de se démarquer de la critique réactionnaire de l’art contemporain."<br /> Mais enfin, même vous, réalisez que c'est une erreur à la fin de votre article. Le problème n'est pas qu'ils "peuvent glisser dans la fange réactionnaire", c'est qu'ils sont en plein dedans du début jusqu'à la fin. Vous rendez-vous compte que vous donnez presque caution à des gens qui vous méprisent ? L'attaque à l'encontre des libertaires et situationnistes n'est pas un détail anecdotique de leur pensée, elle en est le moteur. Allez assister à un cours de Valérie Arrault à l'université Paul Valéry. Il n'y a aucune ambiguïté dans son discours, qui n'a franchement rien à envier à celui d'un Alain Soral. Malhonnêteté intellectuelle, aucune rigueur scientifique, argumentation basée sur des lieux communs jamais questionnés... Leur travail est affligeant d'amateurisme. Critiquez l'Art Contemporain ! Vraiment, allez-y ! Mais bon sang respectez-vous et ne citez pas des gens qui vous crachent à la gueule en confondant libertaires et libertariens.
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O
Bonjour et merci pour votre réponse,<br /> justement je cherche des auteurs ou critiques d'art qui osent remettre en question le sacro-saint art contemporain afin de réveiller un peu les consciences et les esprits vis-à-vis d'une créativité en souffrance...., mais Aude de Keros me dit quelque chose....encore merci pour l'info, cordialement.
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D
Au temps pour moi, les universitaires, vous les citiez déjà...
D
Et bien vous pouvez lire Christine Sourgins, historienne d'art et critique, Aude de Keros, artiste, mais que je n'ai pas lue, et je viens de voir qu'a été aussi publié un livre "Du narcissisme de l'art Contemporain" par des universitaires des arts plastiques de Montpellier . Il y a aussi un blog un peu trop systématique à mon goût, dans l'acerbe, www.schtroumpf-emergent.com.
D
Bonjour,<br /> <br /> Connaissez vous Christine Sourgins et Aude de Keros ? Elles vont dans le même sens que vous à travers leurs publications.<br /> La critique me parait saine, car si l'art ne transcende plus rien de la médiocrité et des bassesses humaines , alors que reste-t'il ? Le philosophe Dany Robert Dufour consacre également un chapitre fort intéressant à l'art dans son livre, "On achève bien les hommes".
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O
Ne s'attacher qu'aux fautes d'orthographe c'est se conforter dans un esprit de supériorité qui malheureusement ne relève que de petits détails formels sans grand intérêt et non le fond des choses, mais peut-être que la critique de l'art contemporain dérange ceux qui croient le connaitre tellement, il ne faut pas être bigot à en devenir aveugle, il ne faut pas non plus s'interdire l'esprit critique qui est plutôt une preuve d'intelligence et d'intérêt, la question n'est pas d'avoir fait une thèse en art pour s'y intéresser et avoir le droit d'en parler, ou alors il est élitiste et l'intérêt qu'il suscite est minime ; il faut reconnaître que l'art est en train de vivre un naufrage, principalement parce qu'il est l'enjeu d'une bulle spéculative qui ne peut pas se permettre d'attendre les productions d'un réel artiste, il est plus rapide de promouvoir un imposteur qui joue à l'artiste, qu'importe son travail, du moment qu'il livre une explication psycho-socio-anti-système, tout le monde sera content, voilà comment on en arrive à créer des artistes qui ne travaillent plus, dénués de talent et de génie, seulement en agitant des idées que d'autres parfois, réalisent à leur place, ces gens qui se prétendent "artistes" n'ont malheureusement rien à montrer d'un point de vue sensoriel et émotionnel, c'est sans doute la raison qui les pousse à fournir un blabla explicatif sur leurs oeuvres, leur soi-disant "art" est vide, et ce constat est à la fois triste et réel .., mais d'un sens ils ont raison, tant qu'il y aura des gens assez pédants pour les défendre, leur existence continuera d'avoir un certain sens...Nous devrions tous relire "Le costume de l'Empereur", c'est un conte qui révèle l'imposture d'un faux couturier pour un monarque des plus prétentieux, et bien nous sommes en plein dedans !
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P
* eh bien